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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

qu’il s’éloignait de la ville dont l’avait détourné une succession d’événements inexplicables, une terreur comme apaisée, sourde, mêlée de honte — pareille au souvenir d’un rêve impur — pénétrait profondément son cœur et, la pointe enfin détournée, le laissait faible, hésitant, avec le désir enfantin d’une présence secourable, certaine, d’un bras à serrer).

— Je n’habite nulle part, autant dire, avoua l’autre. Je voyage pour le compte d’un marchand de chevaux du Boulonnais. J’étais à Calais avant-hier : je serai jeudi à Avranches. Oh ! la vie est dure, et je n’ai pas le temps de prendre racine nulle part.

— Êtes-vous marié ? interrogea de nouveau l’abbé Donissan.

Il éclata de rire :

— Marié avec la misère. Où voulez vous que je trouve le loisir de penser sérieusement à tout ça ? On va, on vient, on ne s’attache pas. On prend son plaisir en passant.

Il se tut, puis reprit avec embarras :

— Je vous demande pardon : ça n’est pas des choses à dire à un homme comme vous. Appuyez franchement sur la droite : il y a près d’ici un fond plein d’eau.

Cette sollicitude émeut de nouveau l’abbé Donissan. Il marche à présent d’un pas très