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Page:Bernanos - Sous le soleil de Satan, tome 1, 1926.djvu/212

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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

rien ! Ah ! vous avez rudement marché ! Que vous êtes las ! Il y a longtemps que je vous suis, que je vous vois faire, l’ami ! J’étais sur la route, derrière vous, quand vous la cherchiez à quatre pattes… votre route… Ho ! Ho !…

— Je ne vous ai pas vu, murmura l’abbé Donissan… Est-ce possible ? Étiez-vous là vraiment ? Sauriez-vous me dire… ?

Il n’acheva pas. Le glissement reprit d’une chute sans cesse accélérée, perpendiculaire. Les ténèbres où il s’enfonçait sifflaient à ses oreilles comme une eau profonde.

Écartant les mains, il étreignit des deux bras les solides épaules, il s’y cramponna de toutes ses forces. Le torse qu’il pressait ainsi était dur et noueux comme un chêne. Sous le choc, il ne vacilla pas d’une ligne. Et le visage du pauvre prêtre sentit le relief et la chaleur d’un autre visage inconnu.

En une seconde, pour une fraction presque imperceptible de temps, toute pensée l’abandonna — seulement sensible à l’appui rencontré — à la densité, à la fixité de l’obstacle qui le retenait ainsi au-dessus d’un abîme imaginaire. Il y pesait de tout son poids avec une sécurité accrue, délirante. Son vertige, comme dissous au creux de sa poitrine par un feu mystérieux, s’écoulait lentement de ses veines.