Page:Bernanos - Sous le soleil de Satan, tome 1, 1926.djvu/44

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
52
SOUS LE SOLEIL DE SATAN

ils achevaient de pourrir, lui parut tout à coup démesurée, vide. Et il ouvrit les yeux pour apercevoir, hors du cercle de la lampe, la fine silhouette immobile, l’unique et silencieuse présence… Puis il éclata d’un rire heureux.

— Alors ?… cette parole d’honneur du papa Malorthy ? Une blague ?

— Quelle parole ? demanda-t-elle.

— Rien ; une plaisanterie pour moi seul… Retourne-toi seulement, et ferme la fenêtre.

Derrière elle, la porte, en effet, s’était brusquement ouverte, mais sans bruit. Une petite bise au goût de sel, venue de la haute mer, mais chargée en passant de toute la buée fade des étangs, fit voler jusqu’au plafond les feuillets épars sur une table, et tira du verre de la lampe une longue flamme rouge qui retombe en suie. Le vent fraîchissait encore. D’une seule voix, d’un bout du parc à l’autre bout, les sapins réveillés mugirent.

Elle tourna la clef dans la serrure, et revint, maussade.

— Approche-toi, voyons, fit Cadignan.

Mais, s’écartant de deux pas encore, elle mit par un détour adroit la table entre elle et son amant, puis s’assit au bord d’une chaise, en petite fille.

— Allons-nous passer la nuit comme ça,