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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

un quart d’heure il me semble que je comprends tout, la vie, quoi ! Tu peux rire ! D’abord, je ne me connaissais pas du tout moi-même — moi — Germaine. On est joyeux, sans savoir, d’un rien, d’un beau soleil… des bêtises… Mais enfin tellement joyeux, d’une telle joie à vous étouffer, qu’on sent bien qu’on désire autre chose en secret. Mais quoi ? et, toutefois, déjà nécessaire. Ah ! sans elle, le reste n’est rien ! Je n’étais pas si bête que de te croire fidèle. Penses-tu ! Filles et garçons, nous n’avons pas nos yeux dans nos poches ; on apprend plus au long des haies qu’au cathéchisme du curé ! Nous disions de toi : « Ma chère, les plus belles, il les a !… » Je pensais : « Pourquoi pas moi ! » C’est bien mon tour… Et de voir à présent que les gros yeux de papa t’ont fait peur… Oh ! je te déteste !

— Ma parole, elle est à lier, s’écria Cadignan, stupéfait. Tu n’as pas un grain de bon sens, Mouchette, avec tes phrases de roman.

Il bourra lentement sa pipe, l’alluma, et dit :

— Procédons par ordre.

Quel ordre ? Combien d’autres avant lui nourrirent cette illusion de prendre en défaut une jolie fille de seize ans, tout armée ? Vingt fois vous l’aurez cru piper au plus grossier mensonge, qu’elle ne vous aura pas même