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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

mais il prenait du ventre. La volupté, la jubilation du plaisir, loin de l’apaiser, lui faisait cette graisse neuve, et, dans la nécessité de tenir secrète sa joie d’avare, il s’en gavait, n’en perdant rien en paroles vaines, la digérant tout entière. Sa dissimulation constante, quotidienne, étonnait jusqu’à sa maîtresse. Sans connaître peut-être pleinement l’étendue de son pouvoir, elle en trouvait la mesure dans la profondeur, la ténacité, la minutie du mensonge. Dans ce mensonge le malheureux se délectait ; le pusillanime en était à chercher parfois le risque, à le tâter ; il y goûtait son âpre revanche. La longue humiliation de sa vie conjugale y crevait comme une bulle de boue. La pensée, jadis haïe ou redoutée, de son impitoyable compagne était devenue un des éléments de sa joie. La malheureuse allait, venait, glissait de la cave au grenier, verte d’un soupçon chronique. Elle semblait encore reine et maîtresse entre ces quatre murs détestés. (« Je suis maîtresse chez moi, peut-être ! » était un de ses défis.) Mais qu’importe ! Elle ne l’était plus… L’air même qu’elle respirait, il lui avait bien volé : c’était leur air qu’elle respirait.

— Je t’aime, dit l’homme de l’art. Avant de t’aimer, je ne savais rien.

— Parle pour toi, fit-elle. (Et elle riait de