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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

cette seule parole brève comme un regard, infinie… Le passé s’arrachait de lui, tombait en lambeaux. À travers la mouvante angoisse passait tout à coup, comme un éclair, l’éblouissement d’une joie terrible, un éclat de rire intérieur à faire éclater toute armure… Il se voyait petit prêtre, dans le préau du séminaire, un jour de pluie… Dans la haute salle aux décors de damas cerise, devant Sa Grandeur en camail et en rochet… Les premiers jours à Lumbres, le presbytère en ruines, la muraille nue, le vent d’hiver dans le petit jardin… Et puis… Et puis… le travail immense, et maintenant cette foule impitoyable, pressée nuit et jour autour du confessionnal de l’homme de Dieu comme d’un autre curé d’Ars ; la séparation volontaire de tout secours humain ; oui, l’homme de Dieu disputé comme une proie. Nul repos, nulle paix que celle achetée par le jeûne et les verges, dans un corps enfin terrassé ; les scrupules renaissants, l’angoisse de toucher sans cesse les plaies les plus obscènes du cœur humain, le désespoir de tant d’âmes damnées, l’impuissance à les secourir et à les étreindre à travers l’abîme de chair, l’obsession du temps perdu, l’énormité du labeur… Que de fois, et cette nuit même, il