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LA TENTATION DU DÉSESPOIR

effroyablement paisible et sûr. Si loin qu’il pousse la ressemblance de Dieu, aucune joie ne saurait procéder de lui, mais, bien supérieure aux voluptés qui n’émeuvent que les entrailles, son chef-d’œuvre est une paix muette, solitaire, glacée, comparable à la délectation du néant. Quand ce don est offert et reçu, l’ange qui nous garde détourne avec stupeur sa face.

Il vint et, sitôt venu, l’agitation de Mouchette cessa par miracle, son cœur battit lentement, la chaleur revint par degrés, son corps et son âme ne furent qu’attente ferme et calculée — sans impatience inutile — d’un événement désormais certain. Presque en même temps, son cerveau l’imagina, le réalisa pleinement. Et elle comprit que l’heure était venue de se tuer, sans aucun délai surtout ! à l’instant même.

Avant que ses membres n’eussent fait un mouvement, son esprit fuyait déjà sur la route de la délivrance. Après lui elle s’y jeta. Chose étrange : son regard seul restait trouble et hésitant. Toute sa vie sensible était à l’extrémité de ses doigts, dans la paume de ses mains agiles. Elle ouvrit la porte sans faire crier l’huis, poussa celle de la chambre de son père (à cette heure toujours vide), prit le rasoir à sa place