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Quoi, vous êtes tombés ? Ah ! quelle main hardie
Osa plus, que jadis les autans furieux ?
Qui put voir, sans frémir, couché sur la prairie
Ce qui fut dans les cieux ?

Mes yeux cherchent en vain votre cime élevée,
Peupliers enchanteurs dont les rameaux naissants
Venaient, lorsque Zéphir succédait à Borée,
M’annoncer le printemps.

Si parfois quelque ami, dans mon modeste asile,
Blâmait la solitude et vantait les plaisirs,
« Ah ! disais-je, la paix de ce séjour tranquille
Suffit à mes désirs. »

Trop heureux, mille fois ! celui dont la sagesse
Fuit tout attachement qui domine et séduit ;
Ces beaux arbres, hélas ! possédaient ma tendresse,
Un cruel les détruit !

Ah ! que sur toi le ciel épuise sa colère
Ô mortel inhumain, vil esprit destructeur !
Que ta main sacrilège en ta froide carrière
Ne cueille pas de fleur.

Dans le climat brûlant où s’élevait Carthage,
Puisses-tu, du soleil, ressentant tous les feux,
Appelant à grands cris la fraîcheur et l’ombrage,
Former d’impuissants vœux !

Je me hâterai d’en finir avec la vie privée de Mme  Burguerie, en disant qu’elle épousa de bonne heure un homme capable de la comprendre. Elle habita successivement Paris, Nantes et le Havre, où son mari devint directeur de la comptabilité de la Banque, et la nature sublime qu’elle avait devant les yeux, ne contribua pas médiocrement à donner à sa poésie de la force et de l’élévation. C’est ainsi qu’elle termina peu à peu un recueil de plus de vingt mille vers, recueil inconnu, enfoui dans le mystère de l’existence intime, et qui n’en serait peut-être jamais sorti, si l’amitié n’avait dû trahir une modestie hors de saison. C’est sans doute elle-même que Mme  Burguerie voulait peindre dans ces vers consacrés à la marguerite, mais ils ne résument pas son talent d’une manière exacte :

 Moi, je suis du vallon la fleur humble et petite ;
Celle qu’on foule aux pieds, de l’enfant le trésor ;
Qu’un rayon de soleil fait éclore si vite,
Corolle sans éclat, renfermant un cœur d’or.

Effectivement, Mme  Burguerie ne fut pas seulement une marguerite. Par la variété et l’éclat de son talent, elle ressemblait plutôt à un parterre, où il y avait à la fois des dahlias et des roses, la couleur éblouissante et le suave parfum. Si elle se montre personnelle dans ses poésies sentimentales, elle est douée aussi d’une faculté objective très-prononcée, union qu’on trouve bien rarement chez une femme.

Dans ses poésies sentimentales, Mme  Burguerie nous apparaît comme un poëte qui connaît ce que la vie offre de plus douloureux. La dédicace de son recueil n’est pas longue : « à ceux qui ont souffert, à ceux qui ont aimé, j’adresse ce livre. » Et elle commence à chanter ainsi :

Des sombres jours d’hiver s’efface le ravage,
L’haleine du midi plane sur ce rivage,
Des plus précoces fleurs hâtant la floraison ;
Tout s’anime au contact de cette brise tiède
Qui, telle qu’un éclair est venue, et succède
À la morte saison.

Quelque chose à la fois de suave et de tendre
Jaillit de la nature entière, et vient étendre
Jusqu’en l’âme de l’homme un sympathique émoi ;
Sous le soleil brillant, on voit s’ouvrir la feuille ;
Notre cœur rétrograde, et, tout pensif, effeuille
Le passé, malgré soi.

Dans le lilas fleuri, la gentille fauvette
Chante ; et de ces accents si doux qu’elle répète
Accompagne de l’âme un chant intérieur ;
Un de ces vagues chants, qui, de notre pensée,
Aux lèvres ne vient pas… et qui l’avait bercée
Dans un âge meilleur.

D’autre fois elle se montre abattue par le deuil de la nature ; il semble que celle-ci, en cédant à l’hiver, ait enlevé toute énergie au poëte qui la contemple :

Les bois ont perdu leur feuillage,
L’aquilon gémit tristement ;
L’oiseau déserte le bocage
Et tout parle d’isolement.
Oh ! que vous pesez sur mon âme,
Jours froids et sombres de l’hiver !
Viens, doux printemps, mon cœur réclame
Tes parfums et ton manteau vert.
Ici, comme une chrysalide
Qui voudrait rompre sa prison,
Se débat mon esprit, avide
D’un plus consolant horizon.

C’est la manière de Mme  Burguerie de regarder la nature pour y puiser des impressions ou pour lui communiquer les siennes. En voyant les oiseaux de mer franchir l’azur immense ; en suivant de l’œil cet Océan toujours agité, qui se berce dans l’infini ; en tressaillant à chaque grondement de la foudre qui traversait les cieux, Mme  Burguerie identifiait son âme avec le monde extérieur, et s’habituait à représenter ses pensées sous forme de paysage :

 L’horizon est bordé d’une ceinture grise,
La mouette, en criant, vole et rase les flots ;
Sur la falaise nue où soupirait la brise
Tout est morne, aucun bruit n’éveille les échos.

Que l’on ne croie pas cependant que la mélancolie vint l’envahir constamment. Dès que la nature souriait, elle reprenait courage :

 Un seul rayon du beau soleil d’automne
Fait resplendir le front chauve des bois.

C’est ainsi qu’elle parlait, et, rendue à la poésie, elle écrivait des pièces de sentiment où règne encore la mélancolie, mais dont le charme est indéfinissable.

Le chef-d’œuvre de Mme  Burguerie, en ce genre, est le Souvenir d’enfance, que nous citerons en entier, malgré quelques légères imperfections. L’auteur, arrêtée par la mort, n’a pas eu le temps de les faire disparaître, et nous ne nous croyons pas le droit de modifier des vers auxquels nous ôterions, peut-être, leur grâce touchante, en leur donnant un peu plus de correction.

 Sentiers ombreux, que ma joyeuse enfance
D’un pied léger parcourut tant de fois ;
Sentiers fleuris où mon adolescence
D’un vague oracle interrogeait la voix ;
Bois parfumé, votre tremblante ogive
Couvrait alors un front insouciant ;
Et de l’espoir la douceur fugitive
Sur moi versait son présage riant !
Rien n’est changé dans ce séjour champêtre :
Là, les coteaux, les genêts toujours verts,
Le serpolet, et, plus loin, le vieux hêtre
Brave toujours les glaces des hivers.
Voici le frêne envahi par la mousse,
M’offrant encor un siège tortueux ;
Près du vallon, plein d’une herbe si douce,
Le châtaignier du chemin montueux.
Site charmant, où mon regard retrouve
À chaque pas quelque cher souvenir,
Tu viens mêler à tout ce que j’éprouve,
Un vif regret que je ne puis bannir.
Ah ! sur ta grâce en vain erre ma vue,
Site enchanteur, feras-tu revenir
Mes jeunes ans, et ma gaieté perdue
Que je croyais ne voir jamais finir ?
Ici, partout ma pensée attendrie
Met près de moi les êtres que j’aimais !
Ceux dont les yeux, dont la voix si chérie
Ne vibre plus, sont fermés pour jamais.

Toi, qui créas cette grâce charmante
Dont la nature est parée au printemps,
En nous faisant le don d’une âme aimante
À son bonheur tu n’as donné qu’un teins !
Et, moins heureux que ce frais paysage
Qui dort l’hiver, pour renaître aussi beau,
Nous n’avançons, dans notre court passage,
Que vers un but sinistre… le tombeau.
Ô fleurs des champs ! fragiles paquerettes
Que j’appelais mes sœurs, et dont souvent
J’interrogeais de mes mains indiscrètes
La fine feuille en la jetant au vent,
Mes douces fleurs, je suis moins orgueilleuse ;
Un petit fil, de votre nom, a lui
Dans mes cheveux[1]… et me rend sérieuse,
Je ne suis plus votre sœur aujourd’hui !
Je vous revois, mais d’un mystique oracle
Je ne viens pas redemander l’arrêt ;
L’amour sincère est trop rare miracle,
Et l’amitié trop vite disparaît.
Sur le gazon votre blanche auréole
Me plaît toujours ; ma main vous cueillera
En souvenir du printemps qui s’envole
Et de tous ceux que rien ne me rendra !
Croissez, croissez, fleurissez, chaque année,
Parez ce val qui de mes jeunes ans,
Vit rayonner la phase fortunée,
Et qui doit voir un jour mes pas pesants.
Adieu ! — L’enfant viendra jouer encore
Sur votre mousse… et les adolescents,
Lorsque le jour fuit et se décolore,
Vous mêleront à leurs rêves naissants :

  1. Cheveux blancs, appelés Marguerites de cimetière, en Bretagne.