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C’est le destin ! l’un naît, quand l’autre tombe,
Plein d’allégresse, ignorant nos douleurs,
Et le buisson qui recouvre une tombe,
N’est pour l’enfant qu’une touffe de fleurs !

En 1846, Mme Burguerie, qui se trouvait alors à Rennes, eut, malgré son goût pour la vie retirée, une querelle assez vive avec des dames de province qui lui contestaient la faculté poétique. La discussion s’échauffa. On railla l’auteur du Souvenir d’enfance, qui tomba d’abord dans une sorte de marasme, en se demandant avec naïveté si les quinze mille vers qu’elle avait déjà écrits n’étaient qu’un déplorable fatras. Soudain elle se relève, elle prend une décision : « C’est aux maîtres de la littérature que je m’adresserai, dit-elle, et leur témoignage sera souverain pour moi : S’ils me condamnent, je jetterai mes vers au feu et je briserai ma plume. »

Elle envoya donc ses poésies à Victor Hugo, à Lamartine, à Alfred de Musset. Avec quelle anxiété elle attendit la réponse ! Le facteur n’arrivait pas, la lettre désirée n’apparaissait point, et les belles dames sans esprit triomphaient du pauvre poëte.

Un jour pourtant on apporte une missive. À l’écriture hardie tracée sur l’enveloppe, on reconnaît la fougue impétueuse du génie. La lettre était de Victor Hugo. Voici ce qu’elle contenait :

« Les vers ressemblent à l’âme dont ils sortent et dont ils sont le rayonnement.
« Votre âme doit-être bien belle, Madame.
« Je mets tous mes hommages à vos pieds. »

Victor Hugo.

Le lendemain arrive une lettre de M. de Lamartine ; le surlendemain une lettre d’Alfred de Musset, toutes deux pleines d’un sympathique encouragement. Nous les citerons de même, pour montrer que Mme Burguerie avait raison de frapper si haut :

« M. de Lamartine a lu avec attendrissement et reconnaissance la lettre affectueuse de Mme Edmée Burguerie et les vers touchants qui l’accompagnent. La poésie le récompense bien généreusement de son premier culte en inspirant de si tendres accents aux cœurs dans lesquels il a été assez heureux pour éveiller une émotion, une sympathie ou un enthousiasme. M. de Lamartine aurait voulu qu’un moment de loisir lui permit de répondre à Mme Burguerie dans cette langue des vers qu’elle parle si bien : mais il ne peut que lui exprimer en deux mots tous ses sentiments d’affection et de gratitude. »

« Je remercie les strophes oubliées qui me renvoient après tant d’années un si tendre écho de sympathie.

« De toutes les immortalités que votre affection me prodigue, je ne désire que celle-là : l’immortalité d’un sentiment recueilli, compris et béni par quelques cœurs. »

Lamartine.
Madame,

« J’ai lu avec un vif plaisir les charmants vers que vous avez bien voulu m’adresser. Une marque de simpathie[1], quand elle est sincère est toujours précieuse. Elle l’est doublement quand elle vient d’une personne d’esprit et de talent.

« Agréez, madame, mes compliments et mes remercîments. »

Alfred de Musset.

Voilà donc Mme Burguerie dûment installée dans sa fonction de poëte, grâce à la consécration qui lui ont donnée des hommes illustres ! Elle commence par rabattre le caquet de ses bonnes amies, en faisant voir les lettres qu’elle a reçues. Pleine de reconnaissance, elle écrit de nouveau à Lamartine, à Hugo, à Musset, mais elle leur écrit dans la langue qu’ils lui ont permis d’employer. Voici une strophe parmi celles qui furent envoyées à l’auteur de Namouna. S’il avait, ce jour là, le cerveau libre, il dut être touché de leur ton simple et vrai.

Mille grâces à vous, dont l’âme grande et bonne
Daigne sourire aux vers du poëte sans nom !
Génie et simple cœur, ah ! c’est bien la couronne
Dont à votre berceau la nature fit don.

La poésie adressée à Victor Hugo est dans un ton lyrique beaucoup plus élevé, car Mme Burguerie se proportionnait au degré intellectuel de ses protecteurs. L’enthousiasme de la reconnaissance y éclate à chaque ligne ; mais ce n’est pas seulement à l’heure où elle recevait des encouragements légitimes, que Mme Burguerie songeait au noble poëte qui a écrit les Orientales. Elle fit comme La Fontaine à l’égard de Fouquet ; elle n’abandonna pas un grand homme lorsqu’il fut proscrit. Nous présenterons aux lecteurs une strophe composée après 1848, et dont les deux derniers vers sont remarquables par leur harmonie imitative.

 Là-bas, là-bas, au milieu de la brume
Il est une île où commande l’Anglais ;
Terre d’exil ! où vit et se consume
Un noble cœur, né pour quelque palais.
Que fait-il là ? quel espoir le soulage ?
De quels travaux remplit-il son esprit ?
— Légers oiseaux, vous qui rasez la plage,
Ô goëlands ! parlez-moi du proscrit.

Désormais sûre d’elle même, Mme Burguerie laissa un libre cours à sa faculté poétique, et c’est alors que le côté objectif de son talent commence à se développer, mais elle excelle toujours dans l’épître badine, maniant le style enjoué avec une grâce charmante, qui rappelle l’attrait de sa conversation. Les vacances adressées à un avocat distingué, mort aujourd’hui, M. Hamon, alors rédacteur en chef du Progrès de Rennes, sont un modèle dans ce genre, la verve y court d’un bout à l’autre et le refrain, tombant toujours juste, décèle un art de composition qui par malheur manque quelquefois aux fantaisies du poëte.

Du barreau quittez la galère ;
Laissez-là cet air magistral
Qui d’un sage vous fait l’égal ;
Air qui, soit dit sans vous déplaire,
(Excusez un aveu sincère)
Me semble trompeur quelque peu…
Au lourd ennui crions : arrière !
Du plaisir ranimons le feu.
La sagesse est en décadence !
Il faut vous tenir prêt à tout :
Écoutez résonner partout ;
« Hurrah ! nous sommes en vacance ! »

Les livres sont abandonnés,
Au plaisir chacun s’évertue,
On part, on vient, on se remue…
Tous ces jeunes fronts couronnés
Portent leur gloire dans la rue ;
— Bien des triomphes y sont nés.
Les frais souvenirs de l’enfance
Ont au cœur un écho bien doux,
Faisons les revivre pour nous…
Hurrah ! nous sommes en vacance.

Que de courses au fond des bois !
Du ruisseau le gentil murmure
A pour basses, sous la verdure,
De folles et joyeuses voix ;
Et l’on emporte la ramure
Du chevreuil réduit aux abois.
Parfois sur l’onde on se balance,
On fait ricocher les cailloux
En répétant dans des chœurs fous,
Hurrah ! nous sommes en vacance.

Les sournois ennemis du bruit
Aux vergers déclarent la guerre ;
Aux rêveurs laissant la fougère,
D’un doigt preste, ils cueillent le fruit,
Et font crier la ménagère
Qui, tout en grondant, les poursuit.
Bah ! c’est un mois de turbulence !
L’an prochain, qui sera debout ?
Le vrai sage jouit de tout :
Hurrah ! nous sommes en vacance.

Souvent le long d’un vert sentier,
Courbé sous la flexible branche,
Un front près d’un autre se penche…
Oubliant l’univers entier
Pour une marguerite blanche,
Et l’on consulte le sorcier…
À l’heure où sourit l’espérance,
Les oracles des fleurs sont doux ;
Nous les cherchâmes aussi, nous !
Hurrah ! nous sommes en vacance.

Et nous que l’âge rend rêveurs,
Un instant faisons volte-face :
Avant que l’automne s’efface
Glanons quelques tardives fleurs,
Et pour la nature et sa grâce
Reprenons nos jeunes ardeurs.
Pendant l’ère de renaissance
Que nous donne la fin d’août,
Que chacun fasse son va-tout !
Hurrah ! nous sommes en vacance,

Partons, et qui m’aime me suit.
Hurrah donc ! par-dessus nos têtes
Jetons notre bonnet de nuit ;
Allons où le sort nous conduit,

  1. Ce mot est orthographié ainsi dans l’original