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Dans l’obscure forêt, des étoiles voisine,
L’amoureux rossignol prélude à ses accents.

Mystique heure du soir, chants, parfums, harmonie
Qui dominez les cieux dans votre accord puissant,
Je vous cherche, et toujours votre grâce infinie
Augmente le fardeau de mon cœur languissant.

Oh ! c’est trop de beauté ! ton charme est trop suave,
Immensité du soir ? L’immensité du cœur
S’accroit à le briser ! et, dévorante lave,
Annule mes efforts sous son courant vainqueur.

De rêves enchantés quand toute l’âme vibre,
Quand le sein est tremblant, l’œil humide de pleurs,
À cet appel divin quand répond chaque fibre,
Pour l’être sans appui, qu’il est d’âpres douleurs !

D’un vif et pur bonheur, d’un bonheur sans mesure
Tout me parle soudain, revêt le sentiment ;
Je voudrais le donner, grand comme la nature,
Je voudrais l’éprouver, ne fût-ce qu’un moment.

Tout me serre le cœur ; verdoyante prairie,
Dans les groupes touffus de tes jeunes ormeaux,
L’oiseau joyeux poursuit sa compagne chérie,
Sous la brise folâtre on voit frémir les eaux.

Du frêne traversant la dentelle élégante,
Un rayon argenté tombe sur le gazon.
Le bois s’est éclairé, cette lueur mourante
Semble un regard du ciel caressant le vallon.

Mais il est des regards contenant plus de flamme,
Beaux, au dessus de tout, comme l’étoile aux cieux ;
Ceux qui, parlant si bien le langage de l’âme,
Disent de tous les mots le plus délicieux.

Mon cœur l’a deviné ! — L’existence glacée
Qui fait tous mes instants vides et désolés,
Est-elle en harmonie avec cette pensée
Chantant un lai divin à tous mes sens troublés ?

Hélas, qu’avez-vous tait, qu’avez-vous fait, ma mère,
Quand vous me caressiez, enfant, sur vos genoux ?
Puisque l’affection n’était qu’une chimère
Pourquoi me donner soif de son charme si doux ?

Ô destin, qu’à mon cœur tu montres d’ironie
En m’offrant, pour ami, ce vallon si désert ?
Mais peut-être il vaut mieux que la sèche atonie
D’un monde indifférent ou sottement disert.

Mobiles orangers, quand, assise à votre ombre,
J’arrange les trésors de ce gazon en fleurs,
Laissez, laissez tomber sur mon visage sombre
Votre neige odorante et parfumez mes pleurs.

Peut-être sa fraîcheur apaisera la fièvre
Qui sous ma tempe bat, qui soulève mon sein
J’arrêterai sur vous mes regards et ma lèvre,
De vos arômes purs j’aspirerai l’essaim.

Mais ce n’est point assez ! ce qu’on veut quand on aime
C’est la conviction qu’on n’aime pas en vain ;
Ô nature muette, à ta grâce suprême
Dieu n’a point accordé cet écho tout divin.

Je trouve une analogie singulière entre cet élan passionné de l’héroïne d’un drame inconnu, et une poésie énergique, due à M. Adolphe Paban, jeune poëte d’un grand talent, dont j’ai déjà prononcé le nom au début de cette brochure. Le lecteur remarquera sans peine que chez M. Paban la langue est plus forte et plus savante : C’est l’étude des chefs-d’œuvres de la littérature antique qui donne la raison de cette supériorité :

Si Je pouvais ravir un peu de cette flamme
Que l’Être créateur mit au sein du grand tout,
Ou d’un rayon divin, détaché de mon âme,
Animer l’idéal qui me poursuit partout !

Lorsque sous les forêts, dont la cime palpite
Comme le cœur de l’homme en son émotion,
En face du désert, où la pensée habite,
Je retrempe ma vie à la création ;

Je ne sais quels désirs, nés de ces harmonies
Que tout être module aux clartés du grand jour,
Me pénétrant bientôt de langueurs infinies,
Font couler dans mon sang des effluves d’amour.

Ce sont des mots humains que le zéphir amène,
Des soupirs émanés d’un cœur aérien ;
Sous les taillis émus une ombre se promène
Dont je surprends le souffle et dont je ne vois rien.

Les sources, en glissant sous le roseau qui tremble,
Les étangs couronnés d’iris et de glaïeul.
Et les oiseaux chanteurs et le chêne et le tremble,
Ne murmurent qu’un hymne, hélas ! et je suis seul.

Je suis seul, et dans moi se creuse un si grand vide,
Le monde extérieur me sollicite tant,
Que je voudrais pouvoir, de voluptés avide,
Absorber l’univers dans mon sein palpitant.

Oh ! si je possédais la puissance féconde
Qui tirant de la nuit les jours originels,
Dégageant du chaos l’âme vive du monde,
Fit tressaillir d’un mot les germes éternels,

Me levant comme un Dieu, d’une bouche ravie
Je convierais le ciel à mon sublime émoi,
Et je prononcerais la parole de vie
Sur la forme sans nom qui flotte autour de moi.

Je mettrais dans son sein l’encens chaste des roses,
La pureté des lacs dans ses yeux de lapis,
La chanson de la brise entre ses lèvres roses
Et sur ses cheveux blonds la couleur des épis.

Lui prodiguant à flots les forces engourdies
Qu’enchaîne au fond de nous un pouvoir surhumain,
Comme tous les parfums, toutes les mélodies
Embelliraient cet être échappé de ma main !

Alors le calme saint que Dieu seul envisage
Descendrait pour toujours dans mon cœur délivré,
Et, m’admirant moi-même au fond de mon ouvrage,
Je me reposerais après avoir créé.

Mme Burguerie n’avait pu réussir à utiliser ses drames, ce qui se comprend de reste, puisqu’elle vivait en province. Dans un accès de mauvaise humeur, elle tourna le dos à Melpomène et écrivit Jeunes et Vieux, comédie en trois actes et en vers. Le directeur de l’Odéon refusa cette pièce sous prétexte qu’elle ressemblait à Philiberte. En réalité Mme Burguerie n’avait jamais lu Philiberte, et sa comédie, conçue dans l’ancien genre classique, avec une soubrette spirituelle pour pivot, est pleine d’entrain et de gaieté.

Mme Burguerie employa peu la prose. Elle regardait cette forme de la pensée comme très-inférieure à la poésie, tout en admirant Chateaubriand et Bernardin de Saint-Pierre. Je ne trouve dans ses manuscrits qu’un drame en prose, l’Héritage, non terminé, et une nouvelle : L’Écolier de Saint-Pol de Léon. Le sujet de cette dernière est original. Il y est question d’un personnage mystérieux qui, sous prétexte de finir ses études dans un collège de Bretagne, avait, la nuit, des entrevues secrètes avec des inconnus. Des correspondances lui étaient apportés par eux. Ce personnage était ordinairement assez mal vêtu, mais une indiscrétion fit découvrir que ses malles étaient remplies de vêtement du dernier choix. Cette histoire qui est très-réelle, se passait avant 1830. Or, comme à cette époque, la branche cadette conspirait contre la branche aînée, l’inconnu fut regardé comme un agent de la famille d’Orléans, et un beau jour des gendarmes vinrent l’enlever du collège. Son intelligence hors ligne, et ses grandes connaissances dans l’histoire des mathématiques ont fait supposer que cet agent secret n’était autre que le trop fameux Libri.

Nous avons dit que Mme Burguerie avait étudié la musique. Elle possédait une fort jolie voix et composait un peu ; elle a mis en musique quelques chansons de Béranger.

Son caractère était affable et généreux. Douée d’un haut sentiment d’élégance, elle sut, quand des revers de fortune vinrent l’atteindre, décorer avec goût sa retraite de la rue de la Fontaine, où une modeste bibliothèque indiquait la femme lettrée, sinon la femme de lettres.

Les tendances intellectuelles de Mme Burguerie étaient larges et éclairées. Amie du progrès, elle avait un esprit de cosmopolitisme qui lui faisait admettre les chefs-d’œuvre littéraires de tous les pays avec une égale prédilection. Byron, Hugo, Lamartine, Sterne, Cervantès, étaient ses auteurs favoris. Elle n’aimait pas l’histoire. « La réalité me répugne, disait-elle, laissez-moi lire des romans. » et elle en lisait beaucoup, revenant toujours à Paul Féval, qui a tracé, dans Bouche de fer une peinture attrayante de la ville de Rennes, sous la Restauration. Mme Burguerie était fanatique de sa terre natale : C’était vers la Bretagne que son cœur se portait le plus volontiers ; elle dépeignait, avec un grand sentiment de réalité, les landes immenses où la lune jette sa lueur maladive sur les ajoncs sauvages, les roches grimaçantes que l’Océan furieux assiège sans les miner : puis, s’élançant de la nature dans la civilisation, elle décrivait, avec une rare précision, Concarneau, les foires de Bretagne, le clocher du Crezquer, et elle mettait ainsi dans sa conversation la même variété que dans ses ouvrages. Ce qui a manqué à Mme Burguerie pour être une femme de talent, c’est un but nettement tracé et un style réellement