Page:Bernardin de Saint-Pierre - Paul et Virginie, Didot, 1806.djvu/104

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vantent notre enfance et nous rendent, pendant toute la vie, la mort effroyable ; les seconds paralysent notre raison et nous rendent la vie insipide. Souvent les uns et les autres se succedent pour nous tourmenter et nous abrutir tour-à-tour.

Heureux ceux qui, forts de leur conscience premiere, ne cherchent l’auteur de la nature que dans la nature même, avec les simples organes qu’elle leur a donnés ! Ils n’étudient point en tremblant les destinées du genre humain[1], dans une polyglotte. Ils ne cherchent point, à la faveur d’un télescope, à travers le Serpent, le Cancer, et les autres monstres des cieux, le retour assuré d’une comete, pour confirmer une théorie du hasard. Les objets de la nature les plus communs sont pour eux les plus dignes d’admiration et de reconnoissance. Dès l’aurore, ils voient le soleil repousser vers l’orient le voile sombre de la nuit, et ranimer de ses rayons une terre couverte de végétaux et d’êtres sensibles ; à midi, l’astre qui fait tout voir disparoît enseveli dans une splendeur éblouissante ; mais vers le soir, déployant à l’occident le voile de sa lumiere, il découvre sur l’horizon qu’il abandonne des cieux tout étincelants de constellations. Qu’admireront-ils de plus ? sera-ce la lunette astronomique, qui, pour en nombrer les étoiles, s’alonge en vain toutes les nuits dans les airs, depuis des siecles ; ou les yeux que leur donna la nature, pour en embrasser le spectacle infini, dans un instant ?

  1. Newton lui-même.