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ET VIRGINIE

l’esclave. Depuis ce temps-là, je me suis dit bien des fois : Ah ! mon frere a un bon cœur ; sans lui je serois morte d’effroi. Je prie Dieu tous les jours pour ma mere, pour la tienne, pour toi, pour nos pauvres serviteurs ; mais quand je prononce ton nom il me semble que ma dévotion augmente. Je demande si instamment à Dieu qu’il ne t’arrive aucun mal ! Pourquoi vas-tu si loin et si haut me chercher des fruits et des fleurs ? n’en avons-nous pas assez dans le jardin ? Comme te voilà fatigué ! tu es tout en nage ». Et avec son petit mouchoir blanc elle lui essuyoit le front et les joues, et elle lui donnoit plusieurs baisers.

Cependant depuis quelque temps Virginie se sentoit agitée d’un mal inconnu. Ses beaux yeux bleus se marbroient de noir ; son teint jaunissoit ; une langueur universelle abattoit son corps. La sérénité n’étoit plus sur son front, ni le sourire sur ses levres. On la voyoit tout-à-coup gaie sans joie, et triste sans chagrin. Elle fuyoit ses jeux innocents, ses doux travaux, et la société de sa famille bien-aimée. Elle erroit çà et là dans les lieux les plus solitaires de l’habitation, cherchant par-tout du repos, et ne le trouvant nulle part.