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qui leur tenoit lieu de mere. C’étoit là que je portois toutes mes économies ; c’étoit sur ce capital que je fondois l’espoir de mon édition. La somme étoit déja si considérable que je l’aurois employée à acheter une bonne métairie, si je n’avois craint de livrer à des créanciers inconnus le berceau de mes enfants et l’asile de ma vieillesse, en l’exposant au soleil.

Mais une révolution de finance, à laquelle je ne m’attendois pas, renversa à la fois mes projets de fortune passés, présents, et futurs. La caisse d’escompte fut supprimée. Je n’imaginai rien de mieux que de transporter mes fonds dans celle d’un de ses actionnaires, ami de mes amis, et jouissant d’une si bonne réputation, que ses commettants venoient de le nommer un de leurs derniers administrateurs. Je lui confiai mon argent à un très modique intérêt, et le priai, sous le secret, d’en disposer après moi en faveur de mes deux enfants en bas âge, et de ma femme, par portions égales. Il me le jura, et trois mois et demi après il me fit banqueroute.

J’avois éprouvé de grandes pertes dans la révolution pour un homme né avec bien peu de fortune. On m’avoit ôté la place d’intendant du jardin des plantes : mais je ne l’avois pas demandée. Louis XVI m’y avoit nommé de son propre mouvement. J’avois perdu deux pensions, mais je ne les avois pas sollicitées. Les contrefaçons m’avoient fait un tort considérable ; mais c’étoit plutôt un manque de bénéfice qu’une perte