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Page:Bernardin de Saint-Pierre - Paul et Virginie, Didot, 1806.djvu/234

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ET VIRGINIE

livre à personne. Souvent il me suffit de moi pour me servir de leçon à moi-même. Je repasse dans le calme présent les agitations passées de ma propre vie, auxquelles j’ai donné tant de prix ; les protections, la fortune, la réputation, les voluptés, et les opinions qui se combattent par toute la terre. Je compare tant d’hommes que j’ai vus se disputer avec fureur ces chimeres, et qui ne sont plus, aux flots de ma riviere, qui se brisent en écumant contre les rochers de son lit, et disparoissent pour ne revenir jamais. Pour moi, je me laisse entraîner en paix au fleuve du temps, vers l’océan de l’avenir qui n’a plus de rivages ; et par le spectacle des harmonies actuelles de la nature, je m’éleve vers son auteur, et j’espere dans un autre monde de plus heureux destins.

Quoiqu’on n’apperçoive pas de mon hermitage, situé au milieu d’une forêt, cette multitude d’objets que nous présente l’élévation du lieu où nous sommes, il s’y trouve des dispositions intéressantes, sur-tout pour un homme qui, comme moi, aime mieux rentrer en lui-même que s’étendre au-dehors. La riviere qui coule devant ma porte passe en ligne droite à travers les