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PAUL

qui s’étoit écoulé depuis le départ de Virginie ; tantôt, le considérant comme un monument de sa bienfaisance, il baisoit son tronc, et lui adressoit des paroles pleines d’amour et de regrets. Ô arbre dont la postérité existe encore dans nos bois, je vous ai vu moi-même avec plus d’intérêt et de vénération que les arcs de triomphe des Romains ! Puisse la nature, qui détruit chaque jour les monuments de l’ambition des rois, multiplier dans nos forêts ceux de la bienfaisance d’une jeune et pauvre fille !

C’étoit donc au pied de ce papayer que j’étois sûr de rencontrer Paul quand il venoit dans mon quartier. Un jour je l’y trouvai accablé de mélancolie, et j’eus avec lui une conversation que je vais vous rapporter, si je ne vous suis point trop ennuyeux par mes longues digressions, pardonnables à mon âge et à mes dernieres amitiés. Je vous la raconterai en forme de dialogue, afin que vous jugiez du bon sens naturel de ce jeune homme ; et il vous sera aisé de faire la différence des interlocuteurs par le sens de ses questions et de mes réponses.

Il me dit :

« Je suis bien chagrin. Mademoiselle de la Tour est