Page:Bernardin de Saint-Pierre - Paul et Virginie, Didot, 1806.djvu/25

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
( xiii )

de ce riche pays, où se rend, dit-on, tout l’or de l’Europe, et où tant d’offres généreuses m’avoient été faites ; encore m’a-t-elle été envoyée par le fils d’une dame anglaise de mes amies domiciliée depuis long-temps en France. Quelle est donc la cause de cette indifférence ? Je l’ignore ; mais elle a été presque générale dans le reste de l’Europe, malgré le grand nombre de prospectus que j’y ai répandus.

À la vérité je m’étois fait une loi, sur-tout dans ma patrie, de ne faire aucune démarche directe ou indirecte pour solliciter des souscriptions, de quelque homme que ce pût être. C’étoit, comme je l’ai dit, un monument de littérature, illustré par le concours de nos plus célebres artistes, dont je proposois l’exécution aux riches amateurs. À la vérité j’y avois parlé de l’intérêt de mes enfants ruinés. Il est possible qu’en exprimant ce sentiment il me soit échappé quelques expressions paternelles trop tendres, qui sont bien goûtées par les gens du monde sur nos théâtres et dans nos romans, mais qui sont rejetées par eux dans l’usage ordinaire de la vie, à cause de leur sensibilité extrême. Ils voient avec intérêt un infortuné sur la scene, mais ils en détournent la vue dans la société. Je pense donc avoir éprouvé, sans m’en douter, la vérité de cet adage confirmé par les imprudents qui s’adressent confidentiellement à eux dans leurs peines : « Plus on se découvre, plus on a froid. »