Page:Bernardin de Saint-Pierre - Paul et Virginie, Didot, 1806.djvu/278

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
163
ET VIRGINIE

reprendre ses sens, dans une maison voisine, jusqu’à ce qu’il fût en état d’être transporté à son habitation. Pour moi, je m’en revins avec Domingue, afin de préparer la mere de Virginie et son amie à ce désastreux évènement. Quand nous fûmes à l’entrée du vallon de la riviere des Lataniers, des noirs nous dirent que la mer jetoit beaucoup de débris du vaisseau dans la baie vis-à-vis. Nous y descendîmes ; et un des premiers objets que j’apperçus sur le rivage fut le corps de Virginie. Elle étoit à moitié couverte de sable, dans l’attitude où nous l’avions vue périr. Ses traits n’étoient point sensiblement altérés. Ses yeux étoient fermés ; mais la sérénité étoit encore sur son front : seulement les pâles violettes de la mort se confondoient sur ses joues avec les roses de la pudeur. Une de ses mains étoit sur ses habits, et l’autre, qu’elle appuyoit sur son cœur, étoit fortement fermée et roidie. J’en dégageai avec peine une petite boîte : mais quelle fut ma surprise lorsque je vis que c’étoit le portrait de Paul, qu’elle lui avoit promis de ne jamais abandonner tant qu’elle vivroit ! À cette derniere marque de la constance et de l’amour de cette fille infortunée je pleurai