Page:Bernardin de Saint-Pierre - Paul et Virginie, Didot, 1806.djvu/35

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Moi. Il en agit donc avec lui comme les matelots portugais avec S. Antoine de Pade ou de Padoue. Ces bonnes gens ont une petite statue de ce saint au pied de leur grand mât. Dans le beau temps ils lui allument des cierges ; dans le mauvais ils l’invoquent ; mais dans le calme ils lui disent des injures et le jettent à la mer au bout d’une corde, jusqu’à ce que le bon vent revienne.

Mon ami. Vous en riez ; mais cela n’est pas plaisant pour la réputation des gens de lettres. Voyez comme les journaux de parti en ont agi avec Voltaire pendant sa vie. Ils l’ont fait passer pour un frippon qui vendoit ses manuscrits à plusieurs libraires à la fois, et pour un lâche superstitieux sans cesse effrayé de la crainte de la mort. Enfin sa correspondance secrete et intime pendant trente ans a été publiée ; elle a prouvé qu’il étoit l’homme de lettres le plus généreux ; qu’il donnoit le produit de la plupart de ses ouvrages à ses libraires, à des acteurs, et à des gens de lettres malheureux ; que, presque toujours malade, il s’étoit si bien familiarisé avec l’idée de la mort, qu’il se jouoit perpétuellement des fantômes que la superstition a placés au-delà des tombeaux, pour gouverner les ames faibles pendant leur vie. Aujourd’hui le Journal des Débats poursuit sa mémoire, et, ce qui est le comble de l’absurdité, il veut faire passer pour un imbécille l’écrivain de son siecle qui avoit le plus d’esprit. Oui, quand je vois dans un feuille-