Page:Bernardin de Saint-Pierre - Paul et Virginie, Didot, 1806.djvu/52

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examen. On lui opposoit, comme principal témoin de ce délit, un simple soldat. Cet homme assuroit, sur la foi du serment, qu’après la prise de Madras, étant en faction sur un des bastions de cette place, il avoit vu, la nuit, des chaloupes embarquer quantité de caisses et de ballots sur le vaisseau de M. de la Bourdonnais. Cette calomnie étoit appuyée à Paris du crédit d’une foule d’hommes jaloux qui n’avoient jamais été aux Indes, mais, par tout pays, sont toujours prêts à détruire la gloire d’autrui. Le vainqueur infortuné de Madras assuroit qu’il étoit impossible qu’on eût pu voir du bastion indiqué par le soldat cette embarcation, quand même elle auroit eu lieu. Mais il falloit le prouver ; et suivant la tyrannie exercée alors envers les prisonniers d’état, on lui avoit ôté tous moyens de défense. Il s’en procura de toute espece par des procédés fort simples, qui donneront une idée des ressources de son génie. Il fit d’abord une lame de canif avec un sou-marqué, aiguisé sur le pavé, et en tailla des rameaux de buis, sans doute distribués aux prisonniers, aux fêtes de Paques. Il en fit un compas et une plume. Il suppléa au papier par des mouchoirs blancs, enduits de riz bouilli, puis séchés au soleil. Il fabriqua de l’encre avec de l’eau et de la paille brûlée. Il lui falloit sur-tout des couleurs pour tracer le plan et la carte des environs de Madras : il composa du jaune avec du café, et du verd avec des liards chargés