Page:Bernardin de Saint-Pierre - Paul et Virginie, Didot, 1806.djvu/61

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allée de bamboux qui conduit vers la mer ; elle est éclairée par les derniers rayons du soleil couchant : on apperçoit, entre quatre gerbes de ces bamboux, trois tombes rustiques sur lesquelles sont écrits, deux à deux, les noms de la Tour et de Marguerite, de Virginie et de Paul, de Marie et de Domingue. On voit, un peu en avant de celle du milieu, le squelette d’un chien : c’est celui de Fidele, qui est venu mourir de douleur, près de la tombe de Paul et de Virginie.

On n’apperçoit dans cette solitude aucun être vivant ; ici reposent à jamais, sous l’herbe, tous les personnages de cette histoire : les premiers jeux de l’heureuse enfance de Paul et de Virginie sur des genoux maternels, les amours innocents de leur adolescence, les dons funestes de la fortune, leur cruelle séparation, leur réunion encore plus douloureuse, n’ont laissé près de leurs humbles tertres aucun monument de leur vie. On n’y voit ni inscriptions, ni bas-reliefs. L’art n’y a gravé que leurs simples noms, mais la nature y a placé, pour tous les hommes, de plus durables et de plus éloquents ressouvenirs. Ces roseaux gigantesques qui murmurent toujours, agités par les moindres vents, comme les foibles et orgueilleux mortels ; ces flots lointains qui viennent, l’un après l’autre, expirer sur le rivage, comme nos jours fugitifs sur celui de la vie ; ce vaste océan d’où ils sortent et retournent sans cesse, image de l’éternité, nous disent que le temps nous entraîne aussi vers elle.