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l’un plein de biens, l’autre de maux, dont il nous envoie alternativement une des deux mesures. Mais il a oublié de nous dire que chacune de ces mesures est double. Le bonheur ainsi que le malheur ne vient guere seul.

Je me trouvai bientôt en état d’arranger et d’occuper ma maison des champs, au moment où je m’y attendois le moins.

Un de mes souscripteurs m’invita, il y a environ un an et demi à le venir voir à sa campagne. C’est un jeune pere de famille dont la physionomie annonce les qualités de l’ame. Il réunit en lui toutes celles qui distinguent le fils, le frere, l’époux, le pere, et l’ami de l’humanité. Il me prit en particulier, et me dit, « Il y a cinq ans que nous ne nous sommes vus. Je n’en ai pas moins conservé le désir de vous être utile. Ma fortune, que je dois à la nation, m’en donne aujourd’hui les moyens. Je n’en peux faire un meilleur usage qu’en vous en offrant une petite portion. Ajoutez à mon bonheur en me donnant les moyens de contribuer au vôtre : Je vous prie d’accepter deux mille écus de pension, avec un titre ou sans titre, comme vous le voudrez. Je ne veux pas gêner votre liberté, nécessaire à vos travaux ; je ne désire que vous la conserver ». « Et moi, lui répondis-je, permettez que je ne vous sois attaché que par les liens de la reconnoissance. » Ce philosophe, si digne d’un trône, si quelque trône étoit digne de lui, est le prince Joseph Bonaparte.