Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/104

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« Plus haut, mon enfant, plus haut », dit avec bienveillance un petit homme aux cheveux blancs tout frisés : c’était Samson.

Je m’arrêtai interdite, affolée, prise d’un énervement fou, prête à crier, à hurler ; ce que voyant, M. Samson me dit : « Voyons, nous ne sommes pas des ogres. » Il venait de causer tout bas avec Auber. « Allons, recommencez, et plus haut. — Ah ! non, s’écria Augustine Brohan, si elle recommence, ce sera plus long qu’une scène ! »

Cette boutade fit rire toute la tablée. Pendant ce temps, je repris conscience de moi-même.

Je trouvais ces gens méchants, de rire devant ce pauvre petit être tremblant qui leur était livré pieds et poings liés.

Je me sentais, sans le définir, un léger mépris pour ce tribunal impitoyable. — J’ai bien souvent, depuis, pensé à cette épreuve, et je me suis rendu compte que des êtres bons, intelligents, pitoyables, deviennent inférieurs lorsqu’ils sont groupés. Le sentiment de l’irresponsabilité personnelle éveille les mauvais instincts. La crainte du ridicule chasse les bons.


Ayant repris possession de ma volonté, je recommençai ma fable sans vouloir m’inquiéter de ce qui se passerait.

Ma voix s’était mouillée dans l’émotion. Le désir de me faire entendre faisait chanter mon timbre. Le silence s’était fait.

Avant la fin de la fable, la clochette tinta. Je saluai, et descendis les quelques gradins, brisée de fatigue.

M. Auber m’arrêta au passage : « Eh bien, ma fillette,