Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/114

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Et je l’embrassai longuement, en sanglotant dans son cou. Je m’enfermai dans ma chambre et, pour la première fois depuis longtemps, je regrettai mon couvent.

Toute mon enfance se dressa devant moi. Et je pleurais davantage. Et je me sentais si malheureuse que je désirais mourir.


Peu à peu cependant le calme se fit et je repris la notion exacte des faits, des paroles dites. Je ne voulais décidément pas épouser cet homme.

Depuis que j’étais au Conservatoire, j’avais appris des choses, vaguement, oh ! très vaguement, car je n’étais jamais seule. Mais enfin, je comprenais suffisamment pour ne pas vouloir me marier sans amour.

Cependant j’eus à subir un assaut auquel je ne m’attendais pas. Mme Guérard me pria de monter voir la broderie sur métier qu’elle faisait pour la fête de maman. Quelle ne fut pas ma surprise de trouver chez elle M. Bed***. Il me supplia de changer d’idée. Il me fit beaucoup de peine, car cet homme si noir pleura. « Voulez-vous une dot plus conséquente ? me dit-il ; je vous reconnais cinq cent mille francs. »

Mais ce n’était pas cela. Et je lui dis tout bas : « Mais, Monsieur, je ne vous aime pas ! — Mais moi, Mademoiselle, je mourrai de chagrin si vous ne voulez pas m’épouser. »

Je regardai cet homme… Mourir de chagrin… je me sentis confuse, désolée, et ravie… car il m’aimait comme on aime dans les pièces de théâtre.

Je me souvins vaguement de phrases lues et entendues. Je les lui répétai sans conviction, et je le quittai sans coquetterie.

Il ne mourut pas, M. Bed***. Il vit encore, et a une