Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/155

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lori tout le corps. Et pendant qu’on me transportait je m’écriais, rageuse : « Si, si, je recommencerai, quand même, si on me défie encore ! Et je ferai toute ma vie ce que je veux faire ! » Et, le soir, quand ma tante désolée me demanda ce qui me ferait plaisir, tout mon pauvre petit corps bandagé tressaillit de joie, et, câline et consolée, je lui dis tout bas : « Je voudrais du papier à lettres à moi, avec ma devise » ; et comme maman insistait, un peu narquoise, pour savoir quelle serait cette devise, je restai un instant sans répondre et lançai dans le silence de l’attente un si furieux « Quand même ! » que ma tante Faure recula en murmurant : « Quelle enfant terrible ! »


Donc, Samson et Provost me rappelaient cette histoire et essayaient de me donner du courage par ce récit. Mais le sang me bourdonnait aux oreilles, je n’entendais rien. Et ce fut poussée par Provost, qui avait, lui, entendu ma réplique, que j’entrai en scène.

Je me précipitai vers Agamemnon, mon père : je ne voulais plus le quitter, il me fallait quelqu’un à qui me tenir. Je me jetai sur ma mère Clytemnestre… Enfin je bafouillai… Et quand je sortis de scène, je remontai quatre à quatre dans ma loge.

Je me déshabillais fiévreusement quand Mme Guérard, effarée, me demanda si j’étais folle ? Je n’avais joué que le premier acte et il y en avait encore quatre. Je sentis alors que vraiment j’étais en danger si je me laissais aller ainsi à mes nerfs. Je fis appel à ma volontaire devise et, me regardant dans la glace, les yeux dans les yeux, je me donnai l’ordre de me dompter, de m’assagir ! Et, confus, mes nerfs cédèrent à mon cerveau. Je terminai la pièce. Je fus insignifiante.