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Quelques jours se passèrent sans que mon service m’appelât au théâtre.

Enfin, un matin, je reçus convocation pour une lecture : Dolorès, de M. Bouilhet. C’était la première fois que j’étais convoquée pour la lecture d’une nouvelle pièce.

On allait me donner « une création ». Tous mes chagrins s’envolèrent comme une nuée de papillons noirs.

Je fis part de ma joie à maman qui conclut logiquement que, puisque j’étais appelée pour une lecture, c’est qu’on avait renoncé à résilier mon engagement, et à l’idée de me faire demander pardon à Nathalie.

Je me rendis au Théâtre. Et quelle ne fut pas ma surprise en recevant des mains de M. Davenne le rôle de Dolorès, le principal rôle dans la pièce de Bouilhet. Je savais que Favart, à qui ce rôle revenait de droit, était souffrante. Mais il y avait d’autres artistes ; et je n’en revenais pas, de joie, de surprise. Et cependant, je me sentais inquiète… De tout temps un pressentiment angoissant m’a mis en garde contre les événements prêts à fondre sur moi.


Je répétais depuis cinq jours quand, montant l’escalier, je me trouvai face à face avec Nathalie, assise sous le grand portrait de Rachel, portrait de Gérôme surnommé « le piment rouge ». Je ne savais si j’allais redescendre ou passer outre. Mais mon hésitation fut remarquée par la méchante femme, qui me dit : « Passez, passez, Mademoiselle, je vous pardonne, car je me suis vengée : ce rôle qui vous plaît tant, vous ne le garderez pas ! »

Je passai sans mot dire, assommée par cette phrase que je devinai vraie.