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mère et ma sœur Jeanne, sans doute dans la confidence. « Ah ! ça y est, déclara mon parrain, en secouant légèrement la neige de son chapeau. Tiens, lis cela, mauvaise tête. » Et il me remit une lettre qui portait l’en-tête du Gymnase.

C’était une lettre de Montigny, directeur de ce théâtre, à M. de Gerbois, ami de mon parrain, et que je connaissais bien. La lettre, fort amicale pour M. de Gerbois, finissait par ces mots : « Et j’engagerai, pour vous faire plaisir, votre protégée qui me paraît avoir un fichu caractère… »

Je rougis en lisant ces lignes, et je trouvai que mon parrain manquait de tact ; il aurait pu me donner une vraie joie, m’éviter cette petite blessure ; mais c’était l’âme la plus lourde qui ait jamais existé. Maman paraissait si heureuse, que je remerciai mon parrain et embrassai la jolie figure de maman.

Oh ! que j’aimais l’embrasser, cette figure nacrée, toujours fraîche, toujours légèrement rosée. Quand j’étais petite, je lui demandais de me faire « papillon » sur la joue avec ses longs cils ; alors, elle approchait sa figure de la mienne et, ouvrant et fermant ses paupières, elle me faisait « chatouille » sur la joue, et je me renversais en arrière, pâmée de joie.

Ce jour-là, brusquement, je lui pris la tête et lui dis : « Fais “papillon” sur la joue de ta grande fille… » et m’attirant à elle : « Quel grand bébé tu fais ! tu n’as pas honte !… » et elle me fit “papillon” sur la joue. Et toute ma journée fut ensoleillée par le baiser de ses longs cils.


Je me rendis le jour suivant au Gymnase. On me fit attendre quelque temps en compagnie de cinq autres