Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/181

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paient dans sa gorge, hachés, sifflants et rauques ; puis elle tombait évanouie, les veines du cou gonflées, les pieds et les mains glacés ; et il fallait parfois des heures pour la ramener à la vie.

Le médecin nous avait dit que ma mère mourrait un jour, dans une crise semblable ; et on faisait tout pour éviter ces accidents terribles. Ma mère le savait et en abusait un peu. Et comme ma pauvre maman m’avait fait héritière de ces mêmes colères, je ne pouvais et ne voulais vivre avec elle. Car moi, je ne suis pas placide, je suis active et combative, et c’est tout de suite que je veux ce que je veux. Je n’y mets pas, comme maman, un entêtement doux. Non : le sang me bout aux tempes avant que j’aie le temps de le dompter.

Les années m’ont assagie, mais pas suffisamment. Je le reconnais et j’en souffre.


Je ne dis rien de mes projets à la chère malade ; mais je chargeai le vieil ami Meydieu de me trouver un appartement. Ce vieil homme, qui avait tant tourmenté mon enfance, s’était pris de tendresse depuis mes débuts au Théâtre-Français. Et, malgré la gifle à Nathalie, malgré ma fugue du Gymnase, il me prenait en bonne part.

Quand il vint nous voir le lendemain de mon arrivée, je restai un peu avec lui dans le salon, et lui fis part de mon projet. Il l’approuva, me disant qu’en effet, nos relations, entre ma mère et moi, ne pouvaient que gagner à cette séparation.

Je pris un appartement rue Duphot, tout près de notre maison. Guérard se chargea de le faire meubler. Et quand ma mère fut tout à fait rétablie, je l’amenai