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Tout le monde applaudit, et le chef d’orchestre surtout exultait. Il avait tant souffert, le pauvre ! Le jour de la première représentation fut pour moi un véritable petit triomphe, oh ! tout petit, mais si plein de lumière pour mon avenir. Le public, pris par la douceur de ma voix et la pureté de son cristallin, me fit bisser la partie des chœurs parlés, et trois salves d’applaudissements me récompensèrent.

Après l’acte, Chilly vint à moi : « Tu es adorable !» Son « tu » me froissa un peu. Mais je lui répondis gaminement : « Tu trouves que j’ai engraissé ! » Il partit d’un fou rire.

Et, à partir de ce jour, nous nous tutoyâmes et nous devînmes les meilleurs amis du monde.


Ah ! ce théâtre de l’Odéon ! C’est le théâtre que j’ai le plus aimé. Et je ne l’ai quitté qu’à regret. Tout le monde s’aimait. Tout le monde était gai. Ce théâtre est un peu la continuation de l’école. Les jeunes venaient tous là. Duquesnel était un directeur plein d’esprit, de galanterie et de jeunesse.

Souvent, pendant les répétitions, on allait faire à plusieurs de grandes parties de balle au Luxembourg, durant les actes dont on n’était pas.

Je me souvenais de mes quelques mois auparavant à la Comédie-Française : ce petit monde était guindé, potinier, jaloux.

Je me remémorais mes quelques mois au Gymnase : on ne parlait que de robes, chapeaux ; on papotait de mille choses si loin de l’art.

A l’Odéon, j’étais heureuse. On ne pensait qu’à monter des pièces. On répétait le matin, l’après-midi, tout le temps. J’adorais cela.