Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/198

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Les jours s’égrenaient, emportant des petits espoirs déçus. Les jours naissants apportaient de nouveaux rêves ; et la vie me semblait un éternel bonheur. Je jouai tour à tour : Le Marquis de Villemer, le rôle de la folle baronne, femme déjà experte âgée de trente-cinq ans — j’en avais à peine vingt et un et j’avais l’air d’en avoir dix-sept ; — François Le Champi, le rôle de Mariette, dans lequel j’eus un gros succès.

Ces répétitions du Marquis de Villemer et de François Le Champi sont restées dans mon souvenir comme autant d’heures exquises.

Mme George Sand, douce et charmante créature, était d’une timidité extrême. Elle parlait peu et fumait tout le temps. Ses grands yeux étaient toujours rêveurs. Sa bouche, un peu lourde et vulgaire, avait une grande bonté. Elle avait peut-être été d’une taille moyenne, mais elle semblait tassée.

Je regardais cette femme avec une tendresse romanesque. N’avait-elle pas été l’héroïne d’un beau roman d’amour ? Je m’asseyais tout près d’elle. Je lui prenais la main et la tenais le plus longtemps possible dans la mienne. Sa voix était douce et charmeuse.

Le prince Napoléon, surnommé Plon-Plon par le populaire, venait souvent aux répétitions de George Sand. Il l’aimait infiniment.

La première fois que je vis cet homme, je devins pâle, et sentis mon cœur s’arrêter : il ressemblait tellement à Napoléon Ier que je lui en voulus tout de suite : car, en lui ressemblant, il le diminuait de tout son lointain, et il le rapprochait de tout le monde.

Mme Sand me présenta à lui, malgré moi.

Il regardait d’une façon impertinente. Il me déplut.

Je répondis à peine aux compliments qu’il me fît, et