Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/25

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ma mère, que nous ne pouvons pas la friser ainsi. — Encore moins la défriser, dit ma mère, en passant ses doigts gantés dans ma chevelure ; ce ne sont pas des cheveux, c’est une tignasse ! Je vous prie de ne jamais la démêler avant d’avoir brossé ses cheveux ; vous n’en viendriez pas à bout et la feriez souffrir. »

« Qu’est-ce que les enfants prennent à quatre heures ? continua-t-elle. — Mais, un morceau de pain et ce que leur donnent leurs parents pour leur goûter. — Il y a douze pots de confitures différentes, car l’enfant a l’estomac capricieux : il faudra lui donner un jour des confitures, un jour du chocolat. Il y en a six livres. » Mme Fressard sourit, toujours ironique et bienveillante. Elle prit une livre de chocolat et dit tout haut : « De chez Marquis ! Eh bien, fillette, on vous gâte. » Et elle tapotait ma joue de ses doigts blancs. Puis ses yeux s’arrêtèrent surpris sur un grand pot. — « Ceci, dit ma mère, c’est du cold-cream fait par moi-même. Je désire que la figure, le cou et les mains de ma fille en soient frottés tous les soirs à son coucher. — Mais… reprit Mme Fressard. » Maman, impatientée : « Je paierai double de blanchissage pour les draps. » (Pauvre maman chérie ! Je me souviens très bien qu’on me changeait les draps tous les mois en même temps que les autres.)

Enfin, l’heure de la séparation venue, on se mit en groupe sympathique et maman fut enlevée dans une envolée d’embrassements, de paroles consolatrices : « Cela lui fera du bien !… Elle a besoin de ça !… Vous allez la trouver changée quand vous la reverrez !… etc. »

Le général de Polhes, qui m’aimait beaucoup, me prit dans ses bras, et m’enlevant en l’air : « Gamine, tu entres dans la caserne ! va falloir marcher au pas ! »