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Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/250

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rieuse ; tout ce qu’elle refusait, elle le refusait avec une grâce douloureuse. Mlle Hocquigny avait passé la trentaine. C’était une vieille fille qui paraissait une jeune femme : de grands yeux bleus pleins de rêve, une bouche rieuse, un ovale délicieux, des petites fossettes, et au-dessus de cette grâce, de ce rêve, de cette bouche coquette et prometteuse, un grand front comme les vierges des primitifs, un grand front un peu bombé, cerné par deux larges bandeaux très plats, très lisses, séparés par une raie droite, fine, impeccable. Ce front était comme le rempart protecteur de ce délicieux visage.

Mlle Hocquigny, très courtisée, très adorée, restait insensible à tous les hommages. Elle se sentait heureuse d’être aimée, mais elle ne permettait pas qu’on le lui dise.

Le Palais de l’Industrie avait un service extraordinaire de médecins, de chirurgiens célèbres ; tous étaient amoureux de Mlle Hocquigny, même les convalescents ; et, comme elle m’avait prise en grande amitié, elle me faisait part de ses remarques, de ses observations et de son triste dédain. Grâce à elle, je ne manquai jamais de linge, ni de charpie.

J’avais organisé mon ambulance avec peu de monde. Ma cuisinière s’était installée au foyer du public. Je lui avais acheté un immense fourneau et elle pouvait faire des soupes et des tisanes pour cinquante hommes. Son mari était chef infirmier. Je lui avais adjoint deux aides ; et Mme Guérard, Mme Lambquin et moi étions les infirmières. Nous devions veiller deux à la fois, de sorte que nous passions toujours deux nuits sur trois. Mais je préférais cela que de prendre une femme que je ne connaissais pas.