bleuies par le froid, tapant les pieds pour ne pas les laisser geler, car cet hiver fut le plus cruel qu’on eut à subir dans une période de vingt années.
Bien souvent on m’amenait une de ces silencieuses héroïnes évanouie de fatigue ou prise de congestion subite occasionnée par le froid.
Trois malheureuses femmes furent transportées à l’ambulance. L’une d’elles avait les pieds gelés : elle perdit le pouce du pied droit. L’autre, une grosse énorme femme qui nourrissait, avait ses pauvres seins plus durs que du bois : elle hurlait de douleur. La plus jeune, une enfant de seize à dix-huit ans, mourut de froid, sur le brancard où je l’avais fait installer, afin qu’elle fût conduite chez elle. Il y avait, ce 24 décembre 1870, quinze degrés de froid.
Bien souvent, j’envoyais Guillaume, notre infirmier, les réconforter par un peu d’eau-de-vie. Ah ! que de souffrances n’ont-elles pas endurées, ces mères désolées, ces sœurs craintives, ces fiancées inquiètes ! Et combien on excuse leurs révoltes de la Commune ! même leurs folies sanguinaires !
Mon ambulance était pleine. J’avais soixante lits, et dus en improviser dix autres. Les soldats étaient dans le foyer des artistes et du public ; les officiers dans une salle réservée jadis au buffet du théâtre.
Un jour, on m’amena un jeune Breton nommé Marie Le Gallec ; il avait reçu une balle dans la poitrine, et une autre balle lui avait cassé le poignet. Le docteur Duchesne me dit simplement, après lui avoir serré fortement la poitrine d’un large bandage et étayé son pauvre poignet par des petits morceaux de bois : « Donnez à cet homme ce qu’il désire, c’est un moribond. »