Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/28

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cependant ; mais d’une beauté qui m’ennuyait. Le teint très blanc, les cheveux très noirs, plaqués en bandeaux dentelés.

Quand je l’ai revue, longtemps après, elle me fut amenée par une parente à moi qui me dit : « Je parie que vous ne reconnaissez pas Madame ? Et cependant, vous la connaissez beaucoup. » J’étais appuyée contre la grande cheminée de mon hall et je regardais venir, du fond du premier salon, cette grande personne à l’air un peu provincial, encore assez belle. Quand elle eut descendu les trois marches du hall, le jour éclaira son front bombé, cerné par les durs bandeaux dentelés : « Mademoiselle Caroline ! » m’écriai-je. Et dans un furtif mouvement, je cachai mes deux mains derrière mon dos.

Je ne la revis plus jamais, Mlle Caroline. Ma rancœur d’enfant avait percé sous la politesse de l’hôtesse.


Je ne m’ennuyais pas trop chez Mme Fressard ; et il me semblait naturel d’y rester jusqu’à ce que je fusse tout à fait grande.

Mon oncle Félix Faure, qui est aujourd’hui chartreux, avait exigé que sa femme, sœur de ma mère, me fasse sortir souvent. Il avait une magnifique propriété traversée par un ruisseau, à Neuilly ; et je pêchais pendant des heures avec mon cousin et ma cousine.


Enfin, ces deux années s’écoulèrent paisibles, sans autres événements que mes colères terribles, qui jetaient le désarroi dans la pension et me laissaient deux ou trois jours à l’infirmerie. Mes colères ressemblaient à des accès de folie.

Un jour, ma tante Rosine vint en coup de vent me