Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/335

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Et on ébauchait des lettres impertinentes, méprisantes... quand on annonça le maréchal Canrobert. — Il faisait alors partie de ma petite cour de cinq heures.

Il fut très vite mis au courant par mon turbulent entourage. Il se fâcha tout rouge sur les imbécillités débitées contre le Grand Poète.

« Vous ne devez pas, me dit-il, aller chez Victor Hugo, qui n’a, ce me semble, aucune bonne raison pour se dérober aux usages établis. Mais prenez l’excuse d’un malaise subit ; et, croyez-moi, ayez pour lui le respect qu’on doit au génie. »

Je suivis le conseil de mon grand ami. Et voici la lettre que j’envoyai au poète :

Monsieur, La reine a pris froid. Et sa Camerera Mayor lui interdit de sortir. Vous connaissez mieux que personne l’étiquette de cette Cour d’Espagne. Plaignez votre reine, Monsieur !

Je fis porter la lettre. Et voici la réponse que m’envoya le poète :

Je suis votre valet. Madame. — Victor Hugo.

Le lendemain, on recommença la lecture aux artistes sur la scène ; car je crois que la lecture n’eut pas lieu... ou, du moins, n’eut pas lieu en entier chez le Maître.

Je fis donc la connaissance du monstre. Ah ! que je leur en ai voulu longtemps, à ces sots qui m’avaient verrouillé le cerveau.

Il était charmant, le monstre. Et si spirituel, et si fin, et si galant : d’une galanterie qui est un hommage, non une injure. Et bon pour les humbles. Et toujours gai.