qui sentent le frais des fleurs de plein vent ; fleurs offertes par des cœurs de vingt ans, petits bouquets payés par des bourses d’étudiants.
Je ne voulus rien emporter. Je laissai le mobilier de ma loge à une petite artiste. Je laissai mes costumes, mes petits bibelots de toilette. Je partageai tout. Je sentais que là s’arrêtait ma vie d’espérances. Je sentais que le terrain était mûr pour l’éclosion de tous les rêves ; mais que la lutte avec la vie allait commencer. Et je devinais juste.
Ma première station à la Comédie-Française m’avait mal réussi. Je savais que j’entrais dans la cage des fauves.
Je ne comptais guère d’amis dans cette maison, sauf Laroche, Coquelin et Mounet-Sully, camarades, les deux premiers, du Conservatoire, le dernier, de l'Odéon.
Parmi les femmes : Marie Llyod et Sophie Croizette, toutes deux mes amies d’enfance, cette méchante Jouassain qui n’était bonne que pour moi et l’adorable Madeleine Brohan, bonne à ravir l’âme, spirituelle à ravir l’esprit, indifférente à désoler le dévouement.
M. Perrin décida que je débuterais dans Mademoiselle de Belle-Isle, selon le désir de Sarcey.
Les répétitions commencèrent dans le foyer, ce qui me troublait fort.
C’était Madeleine Brohan qui devait jouer la marquise de Prie. À cette époque, elle était envahie par la graisse d’une façon presque monstrueuse, et j’étais, moi, si maigre, si maigre, que ma maigreur alimentait les faiseurs de chansons rosses et les albums de caricaturistes.