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« Oh ! maman, c’est là-dedans que je vais entrer ? Oh ! non, je veux retourner chez Mme Fressard ! »

Maman haussa légèrement les épaules, en me montrant mon père, pour me faire comprendre qu’elle n’y était pour rien.

Je me jetai vers lui. Il sonnait. Il me prit la main ; et, la porte s’ouvrant, il m’entraîna doucement. Maman et ma tante Rosine suivirent.

La cour était vaste et triste ; mais on voyait des bâtiments, des fenêtres, quelques visages curieux d’enfants.

Mon père dit un mot à la sœur tourière et on nous fit entrer dans le parloir.

Une grande salle cirée, traversée par un énorme grillage noir qui tenait toute la longueur de la pièce. Des banquettes de velours rouge autour ; puis quelques chaises et fauteuils près du grillage. Le portrait de Pie IX, le portrait en pied de saint Augustin, et le portrait d’Henri V.

Je claquais des dents. Il me semblait me souvenir d’avoir lu la description d’une prison dans un livre quelconque, et que c’était tout à fait cela.

Je regardai mon père, maman, et je me sentis en défiance contre eux.

On disait si souvent que j’étais une enfant indomptable ; qu’il faudrait une main de fer ; que j’étais le diable fait enfant. Ma tante Faure répétait si souvent : « Cette enfant finira mal ; elle a des idées de folle… etc., etc. »

Je fus prise de peur. « Papa ! papa ! Je ne veux pas aller en prison !… C’est une prison cela, j’en suis sûre !… J’ai peur ! J’ai peur !… »

De l’autre côté de la grille, une porte venait de s’ouvrir. Je m’arrêtai pour regarder. Une petite femme