Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/376

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tournait à mon profit. Ne pouvant être mourante à ma volonté, je changeai mes batteries et résolus d’être forte, solide, vivace, et vivante, jusqu’à l’énervement de quelques-uns de mes contemporains qui ne m’avaient supportée que parce que je devais mourir bientôt, mais qui me prirent en haine dès qu’ils eurent la certitude que je vivrais longtemps peut-être. Je ne veux en donner qu’un exemple, raconté par Alexandre Dumas fils qui, assistant à la mort de son intime ami Charles Narrey, recueillit ses dernières paroles :

Je suis heureux de mourir, car je n’entendrai plus parler de Sarah Bernhardt et du grand Français (Ferdinand de Lesseps).

Mais cette constatation de mes forces me rendit plus pénible l’espèce de « farniente » dans lequel me condamnait Perrin. En effet, après Zaïre, je restai des mois sans créations, jouant de ci, de là. Alors, découragée et dégoûtée du Théâtre, je me pris de passion pour la sculpture.

En descendant de cheval, je prenais un léger repos et me sauvais dans mon atelier, où je restais jusqu’au soir. Des amis venaient me voir, s’installaient autour de moi, jouant du piano, chantant ; puis on discutait violemment politique, car je recevais dans ce modeste atelier les hommes les plus illustres de tous les clans. Quelques femmes venaient prendre le thé, toujours exécrable, toujours mal servi ; mais ça m’était égal. J’étais absorbée par cet art admirable ; je ne voyais rien ou, pour mieux dire, je ne voulais rien voir.

Je faisais le buste d’une adorable jeune fille, Mlle Emmy de ***. Sa conversation lente et posée était d’un charme infini ! Elle était étrangère, mais