Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/399

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Émile Augier, énervé, fonça sur moi, tel un sanglier traqué par un chien traquant : « Vous prenez la responsabilité, Mademoiselle, des événements à la première, après cette scène absurde de la fenêtre ? — Parfaitement, Monsieur. Et je m’engage même à faire de cette scène que je trouve, moi, très belle, un énorme succès ! » Il haussa grossièrement les épaules, marmonnant je ne sais quoi de malhonnête entre ses dents.

Au moment de quitter le théâtre, je rencontrai ce pauvre Bornier transfiguré. Il me remercia mille fois, car il tenait tant à cette scène, et il n’osait pas contrecarrer Émile Augier. Perrin et moi avions deviné les justes émotions de ce pauvre poète très doux, très bien élevé, mais un peu jésuite.

La pièce eut un gros succès. Et la scène de la fenêtre, le soir de la première, fut un triomphe. C’était peu de temps après la terrible guerre de 1870. La pièce contenait de fréquentes allusions. Et, grâce au chauvinisme du public, elle eut une carrière plus belle que ne le méritait l’œuvre en elle-même.

Je fis mander Émile Augier. Il entra dans ma loge d’un air bourru et me cria dès la porte : « Tant pis pour le public, ça prouve qu’il est imbécile, de faire un succès à une semblable turpitude ! » Et il disparut avant d’avoir pénétré tout à fait dans ma loge.

Sa boutade me fit rire. Et comme Bornier triomphant m’avait embrassé plus de dix fois, je me grattai partout.


Deux mois après, je jouai Gabrielle de ce même Augier, et j’eus avec lui d’incessantes querelles. Je trouvais les vers de cette pièce exécrables. Coquelin, qui jouait mon mari, eut un grand succès. Moi, je fus