Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/427

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sang me bourdonnait follement aux oreilles. Le sang me coulait du nez. Je me sentais très mal à mon aise et somnolais sans pouvoir réagir.

Georges Clairin s’inquiéta, et le jeune Godard s’écria très fort, pour me réveiller sans doute : « Allons, allons, il faut descendre ! Jetons le guide-rope ! »

Ce cri me réveilla, en effet. Je voulais savoir ce que c’était que le guide-rope. Je me levai un peu étourdie ; et, pour secouer ma torpeur, Godard me mit le guide-rope aux mains. C’était une forte corde déroulant 120 mètres, à laquelle étaient fixés, de distance en distance, des petits crampons de fer. Clairin et moi déroulâmes la corde en riant, pendant que Godard, penché sur la nacelle, regardait avec une longue-vue. « Halte ! cria-t-il tout à coup… Diable ! Voilà bien des arbres ! » En effet, nous étions au-dessus des bois de Ferrières. Mais, devant nous, une petite plaine sollicitait notre descente. « Il n’y a pas à hésiter ! s’écria Godard. Si nous manquons la plaine, nous descendrons en pleine nuit dans les bois de Ferrières. Et dame ! c’est dangereux. » Puis, se tournant vers moi : « Voulez-vous, me dit-il, ouvrir la soupape ? » Ainsi fut fait. Et le gaz s’échappa de sa prison en sifflant d’un air moqueur. La soupape refermée sur l’ordre de l’aéronaute, nous descendîmes rapidement.

Tout à coup le silence de la nuit fut déchiré par un appel de trompe. Je tressaillis. C’était Louis Godard qui, de sa poche, véritable magasin, avait sorti une trompe dans laquelle il soufflait avec violence.

Un coup de sifflet strident répondit à notre appel et nous vîmes, à cinq cents mètres au-dessous de nous, un homme galonné qui s’époumonnait à nous appeler. Comme nous étions tout près d’une petite gare,