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Othello fut joué dans son entier au Théâtre-Français. Moi, je n’y étais déjà plus.

Après avoir joué Bérénice dans Mithridate avec succès, je repris mon rôle de la reine de Ruy Blas. La pièce obtint un succès aussi durable qu’à l’Odéon ; et le public se montra peut-être encore plus favorable à mon égard. C’était Mounet-Sully qui jouait Ruy Blas. Il y fut admirable et cent fois supérieur à Lafontaine, qui le jouait à l’Odéon. Frédéric Febvre, très bien costumé, avait composé son rôle d’une façon intéressante, mais il resta inférieur à Geffroy, qui avait été le plus distingué et le plus effroyable Don Salluste que l’on pût rêver.


Mes rapports avec Perrin étaient de plus en plus froids. Il était heureux, pour la Maison, de mon grand succès ; il était joyeux des magnifiques recettes de Ruy Blas ; mais il aurait voulu que ce fût une autre que moi qui bénéficiât de tous les bravos. Mon indépendance, mon horreur de la soumission, même fictive, l’agaçaient prodigieusement.

Un jour, mon domestique vint me dire qu’un vieil Anglais demandait à me voir avec une telle insistance qu’il avait cru, malgré la consigne, devoir venir m’avertir. « Renvoyez cet homme et laissez-moi travailler. » Je venais de commencer un tableau qui me passionnait : Une fillette tenant, le jour des Rameaux, des palmes dans ses bras. Le petit modèle italien qui posait était une ravissante fillette de huit ans. Tout à coup, elle me dit : « Y s’dispute, l’Anglais… » En effet, j’entendais dans l’antichambre un bruit de voix de plus en plus querellantes. Je sortis, ma palette à la main, résolue à chasser l’intrus ; mais, au mo-