Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/445

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fois que j’entendis crier : Vive Sarah Bernhardt ! Je tournai la tête et me trouvai en face d’un jeune homme pâle — la tête rêvée d’Hamlet — qui me remit un gardénia. Je devais l’admirer plus tard sous le costume d’Hamlet joué par Forbes Robertson.

Nous passions au milieu d’une haie de fleurs tendues, de mains pressées ; et je vis tout de suite que j’étais plus favorisée que les autres.

Cela me gênait un peu et me charmait quand même. Une camarade qui se trouvait près de moi, et qui ne m’aimait pas, me dit méchamment : « Bientôt on te fera un tapis de fleurs... — Le voilà ! » s’écria un jeune homme en jetant devant moi une brassée de lis. Je m’arrêtai confuse, n’osant marcher sur ces blanches fleurs, mais la foule, pressée derrière moi, me forçait d’avancer. Il fallut bien écraser les pauvres lis.

« Un Hip ! Hip ! Hurrah ! pour Sarah Bernhardt ! » s’écria le fougueux jeune homme. Sa tête dépassait toutes les autres têtes ; ses yeux étaient lumineux ; ses cheveux, longs ; il avait l’air d’un étudiant allemand. C’était cependant un poète anglais, un des plus grands de ce siècle ; poète plein de génie, mais hélas ! tourmenté depuis et vaincu par la folie : c’était Oscar Wilde.

La foule répondit à son appel, et nous montâmes dans le train, poursuivis par les « Hip ! hip ! hip ! Hurrah ! pour Sarah Bernhardt ! Hip ! hip ! hip ! Hurrah ! pour les comédiens français ! »

Quand le train s’arrêta vers neuf heures à Charing Cross, nous avions plus d’une heure de retard.

Une tristesse s’empara de moi. Le temps était couvert. Et puis, je croyais que nous allions encore être acclamés à notre arrivée à Londres. Je m’étais préparée à de nouveaux : « Hip ! hip !... » Il y avait là du monde,