Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/455

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Je refoulai mes larmes et me promis de soutenir courageusement le succès qui venait chercher noise à ma tranquillité, à mon insouciance, à mon « j’m’enfichisme ». Mais, à partir de cette époque, la peur s’empara de moi, le trac me martyrisa.


Ce fut dans ces dispositions que je me préparai pour le second acte de Phèdre, dans lequel je devais paraître pour la première fois devant le public anglais. Trois fois je me mis du rouge sur les joues, du noir aux yeux ; trois fois je m’enlevai tout, d’un coup d’épongé. Je me trouvais laide. Je me trouvais plus maigre. Je me trouvais moins grande.

Je fermai les yeux pour écouter ma voix. Mon diapason à moi, c’est « le bal », que je prononce en bas en ouvrant l’a ; « le bââââl », ou que je file en haut en fermant l’a et en suivant l’l : « le balll ». — Ah ! bien oui ! je ne trouvai « le bal » ni en haut, ni en bas. J’avais la voix enrouée dans les notes graves, voilée dans les notes de soprano ; je pleurai de rage.

On vint me prévenir que le second acte de Phèdre allait commencer. Je devins folle. Je n’avais pas mon voile. Je n’avais pas mes bagues. Ma ceinture de camées n’était pas attachée. Je murmurai :

Le voici. Vers mon cœur tout mon sang se retire.
J’oublie, en le voyant   .   .   .   .   .   .

Mais le mot « J’oublie » me frappa au cerveau : Si j’allais oublier ce que j’ai à dire !

C’est vrai… Qu’est-ce que je dis ?… Je ne sais plus… je ne sais plus… Qu’est-ce que je dis après « en le voyant » ? Personne ne me répondit. Je les terrifiais