Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/462

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Sophie Croizettc me regarda, terrifiée, se leva, et quitta la scène, les lèvres tremblantes, ne me quittant pas des yeux. « Qu’est-ce que vous avez, lui dit-on en la voyant tomber presque sans souffle dans un fauteuil ? — Sarah est devenue folle ! Je vous dis qu’elle est devenue folle ! Elle a coupé toute sa scène avec moi. — Comment ? — Elle a coupé deux cents lignes ! — Mais pourquoi ? — Je ne sais pas. Elle a l’air très calme. »

Toute cette conversation, qui me fut racontée après, prit moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire.

Coquelin, averti, fit son entrée en scène pour terminer l’acte.

Le rideau tombé, je restai confondue et désespérée de ce qui me fut conté.

Je ne m’étais aperçue de rien et il me semblait avoir joué tout mon rôle comme d’habitude. J’étais réellement sous l’empire de l’opium. Il me restait très peu de choses à dire au cinquième acte, et je m’en tirai parfaitement.

Le lendemain, les comptes rendus et les critiques furent très élogieux pour notre compagnie, mais la pièce fut discutée. Je craignis un instant que ma suppression involontaire de la grande scène du « trois » fût pour quelque chose dans cette sévérité de la presse ; mais non, tous les critiques avaient lu et relu la pièce, ils en discutaient le fond et ne faisaient pas mention de mon oubli. Seul, Le Figaro, qui était alors en très méchante humeur contre moi, s’exprima en ces termes :

Figaro du 3 juin. — L’Étrangère n’est pas du goût anglais, mais Mlle Croizette est vivement applaudie, ainsi que Coquelin et Febvre ; mais Mlle Sarah Bernhardt, toujours nerveuse, a perdu la mémoire...