Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/469

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credi, le jeudi et le vendredi, je ne jouais pas. J’avais de quoi acheter mes lions. Sans rien dire au Théâtre, je filai pour Liverpool. Je savais qu’il y avait là une grande ménagerie : Cross’ Zoo, et que j’y trouverais des lions.

Le voyage fut très amusant. Quoique voyageant incognito, je fus reconnue sur tout le parcours de la route et je fus gâtée, choyée. Trois de mes amis m’accompagnaient. C’était une escapade pleine de fantaisie ; je savais que je ne pouvais manquer mon service à la Comédie, puisque je ne jouais que le samedi et que nous étions le mercredi.

Partis le matin à dix heures et demie, nous arrivâmes à Liverpool à deux heures et demie et nous allâmes de suite chez Cross.

Impossible de trouver l’entrée de la maison. Nous demandâmes au boutiquier qui fait le coin ; il nous indiqua une petite porte que nous avions déjà ouverte et refermée deux fois, ne pouvant admettre que ce fût là. Moi, j’entrevoyais une grande porte grillée et laissant voir une large cour, et nous étions devant une toute petite porte s’ouvrant sur une toute petite pièce nue, où se tenait un petit homme.

« Monsieur Cross ? — C’est moi. — Je voudrais acheter des lions. » Il se mit à rire. « Alors, c’est vrai. Mademoiselle, vous aimez tant que cela les bêtes ? Je suis allé la semaine dernière à Londres voir jouer la Comédie-Française, et je vous ai vue dans Hernani. — Ce n’est pas cela qui vous a appris que j’aimais les bêtes ? lui répondis-je. — Non. C’est un marchand de chiens de Saint-Andrews street qui m’a dit que vous lui aviez acheté deux chiens et que, sans un gentleman qui était avec vous, vous en auriez acheté cinq. »