Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/475

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La veille, j’avais fait prévenir Mayer que j’étais très souffrante et que, jouant Hernani le soir, je le priai de changer le spectacle du matin si c’était possible. Mais la recette était de plus de quatre cents livres, et la Comédie ne voulut rien entendre. « Eh bien, répondit Got à Mayer, on remplacera Sarah Bernhardt si elle ne peut pas jouer ; il y a dans la pièce : Croizette, Madeleine Brohan, Coquelin, Febvre et moi, et, que diable ! nous valons bien à nous tous Mlle Bernhardt ! »

On chargea Coquelin de demander à Lloyd de me remplacer, car elle avait déjà joué le rôle à la Comédie quand j’étais malade. Mais Llyod eut peur et refusa. On offrit de changer le spectacle, et ce fut Tartuffe qui remplaça L’Étrangère.

Mais le public, presque en entier, redemanda son argent, et la recette, qui devait être de cinq cents livres, ne fut que de quatre-vingt-quatre livres.

Ce fut la levée des rancunes, des jalousies. Toute la Comédie (surtout les hommes, moins un, M. Worms) marcha contre moi, lancée en avant.

Francisque Sarcey, transformé en tambour-major, cadençait son pas, sa terrible plume à la main.

Les inventions les plus folles, les calomnies les plus stupides, les mensonges les plus odieux, prirent leur vol comme une nuée de canards sauvages s’abattant soudainement dans toutes les rédactions ennemies. On y racontait qu’on pouvait me voir habillée en homme pour un shilling ; que je fumais de gros cigares, appuyée au balcon de ma maison ; que, dans les soirées mondaines où je jouais des saynètes, je prenais ma femme de chambre pour me donner là réplique ; que je faisais des armes dans mon jardin habillée en pierrot blanc ; que je prenais des leçons de boxe, et que