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XXXIII


Enfin, le navire stoppa le 27 octobre, à six heures et demie du matin. J’étais endormie, encore fatiguée par ces trois jours et ces trois nuits de furieuses tempêtes. Ma femme de chambre eut quelque peine à m’éveiller. Je ne voulais pas croire que nous fussions arrivés ; et je voulus dormir jusqu’à la dernière minute. Je dus cependant me rendre à l’évidence. Le navire stoppait. J’entendais un bruit de coups sourds répercutés à l’infini.

Je mis la tête hors de mon hublot, et j’aperçus des hommes occupés à nous frayer un passage dans la rivière. En effet, l’Hudson était gelé. Toutes ses eaux étaient prises ; et le lourd bateau ne pouvait avancer qu’avec l’aide des pioches faisant sauter les blocs de glace.

Cette arrivée non prévue me transporta de joie. En une minute, tout se transforma. J’oubliai mon malaise, mon ennui depuis les onze jours de traversée. Le soleil, pâle mais rose, se levait, dissipant la brume et éclairant la glace qui, sous l’effort des pionniers, jaillissait en mille morceaux lumineux. J’entrais dans le Nouveau Monde au milieu d’un feu d’artifices de glace. C’était féerique