Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/583

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esprit romanesque et fou, me voulut raconter l’horrible chose, je bouchai mes oreilles.

Lorsque, quatre mois après, on voulut me faire à haute voix lecture de sa mort par la pendaison, je me refusai à rien entendre.

Et maintenant que vingt-six années se sont écoulées et que je sais, je ne veux me souvenir que du service rendu et de ma parole donnée.

Cet incident m’avait laissée assez triste. Il a fallu la colère de l’évêque de Montréal pour me rendre ma gaieté. Ce prélat, après avoir tonné en chaire contre l’immoralité de la littérature française, a défendu à ses ouailles de paraître au Théâtre. Il fit un mandement violent, haineux, contre la moderne France.

Quant à la pièce de Scribe {Adrienne Lecouvreur), il la déchiqueta : soi-disant contre les amours immorales de la comédienne et du héros, et contre l’amour adultérin de la princesse de Bouillon ; mais la vérité se fit jour malgré tout, et il s’écria avec une fureur doublée par l’outrage : « Il y a, dans cette infâme élucubration des auteurs français, un abbé de cour qui, grâce au dévergondage de ses propos, est une insulte directe au clergé. » Enfin, il lança l’anathème contre Scribe déjà mort, contre Legouvé, contre moi, et toute ma compagnie. La conclusion fut que la foule accourut de toutes parts et que ces quatre représentations : Adrienne Lecouvreur, Froufrou, La Dame aux Camélias (matinée) et Hernani, eurent un succès colossal, et donnèrent des recettes fabuleuses.

Je fus conviée par le poète Fréchette, et un banquier dont le nom m’échappe, à une visite aux Iroquois. J’acceptai avec, joie, et je m’y rendis avec ma sœur, Jarrett et Angelo toujours de toutes les parties dangereuses,