Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/620

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pressés, et tout le fond nous tomba sur la tête. Et comme à cette époque, les décors étaient presque tous faits en papier, nous fûmes, non coiffés, mais collerettés par le décor, et nous dûmes rester ainsi sans bouger. Nos têtes ayant crevé le papier, nous avions l’aspect le plus comique et le plus ridicule.

Le rire du jeune nègre reprit plus strident, et cette fois mon rire étouffé finit par une crise qui se termina par un épuisement me laissant sans forces.

La recette fut rendue au public. Elle dépassait quinze mille francs. Cette ville m’était fatale, et elle faillit l’être vraiment dans la troisième visite que je lui fis et que je narrerai dans le second volume de ces Mémoires.

Nous quittions Mobile la nuit même, pour nous rendre à Atlanta, où, après avoir joué La Dame aux Camélias, nous repartîmes le soir même pour Nashville.

Nous nous arrêtons ensuite une journée entière à Memphis, et nous y donnons deux représentations. Puis nous repartons à une heure du matin pour Louisville.

Dans le trajet de Memphis à Louisville, nous fûmes réveillés par un bruit de lutte, par des jurons et des cris. J’ouvris la porte de ma chambre roulante, et je reconnus les voix. Jarrett sortait au même moment. Nous nous rendîmes alors vers le bruit. C’était sur la plate-forme, où les deux combattants, le capitaine Hayné et Marcus Mayer, se battaient, revolver au poing. Marcus Mayer avait l’œil hors de son orbite et le sang couvrait le visage du capitaine. Je me jetai sans réflexion entre les deux fous qui, voyant une femme, s’arrêtèrent avec cette courtoisie brutale mais très attendrissante des Américains du Nord.