Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/645

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tente se fait dans les larmes, quand les chaloupes, abordant enfin les grands navires, permettent aux impatients d’escalader les échelles et de se jeter dans les bras tendus.

L’Amérique est envahie. Ils sont là tous, mes chers et fidèles amis. Ils ont accompagné mon jeune fils Maurice. Ah ! l’heure délicieuse ! Les réponses devancent les questions. Les rires sont mouillés de larmes. On se presse les mains. On s’embrasse. On recommence ; et on n’est jamais las de cette redite de tendresse. Pendant ce temps, notre bateau file.

Le Diamant a disparu, emportant la poste. Mais plus nous avançons, plus la mer se sillonne de petits bateaux pavoisés. Il y en a cent. En voici plus encore.

« C’est donc jour férié ? demandai-je à Georges Boyer, correspondant du Figaro et venu avec les amis au-devant de moi. — Mais oui, Madame, grand jour de fête aujourd’hui au Havre, car on attend le retour d’une fée qui est partie depuis sept mois. »

« C’est vraiment pour me fêter que toutes ces jolies barques ont développé leurs ailes et pavoisé leurs mâts ? Ah ! que je suis heureuse ! »

À ce moment, nous entrons dans la jetée. Il y a là peut-être vingt mille personnes qui poussent un seul cri de : « Vive Sarah Bernhardt ! »

Je suis confondue. Je ne m’attendais pas à un retour triomphal. Je sais bien que la représentation donnée pour les sauveteurs m’avait gagné les cœurs des Havrais ; mais j’apprends que des trains bondés sont venus de Paris pour me saluer au retour.

Je me tâte le pouls... je suis bien moi... je ne rêve pas.

Le navire s’arrête en face d’une tente de velours