Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/79

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elle allait la baigner, et lui avait dit : « Le but, c’est le lit de ma sœur ».

La joie de ma sœur, en ce moment que je sentais grave pour moi, me fit éclater en sanglots. Ma mère, ne pouvant comprendre le pourquoi de ce chagrin, haussa les épaules, ordonna à Marguerite d’aller chercher les pantoufles de la petite, prit les deux petits pieds dans ses mains et les baisa tendrement. Ma crise redoubla. Maman préférait visiblement ma sœur ; et ce jour-là, cette préférence, qui ne me peinait pas en temps ordinaire, me blessa cruellement. Maman sortit impatientée.

Je m’endormis pour oublier et fus éveillée par Marguerite qui m’aida à me vêtir, car j’aurais été en retard pour le déjeuner.

Il y avait comme convives, ce jour-là : ma tante Rosine, Mlle de Brabender, mon parrain et le duc de Morny, un grand ami de mon père et de ma mère.

Le déjeuner fut morne pour moi. J’attendais le conseil de famille. Mlle de Brabender me forçait à manger par de douces paroles, par des gestes pleins de tendresse. Ma sœur éclata de rire en me regardant : « T’as les yeux petits comme ça, fit-elle en mettant son petit pouce sur le bout de son index, et c’est bien fait ! parce que tu as pleuré ; et maman n’aime pas qu’on pleure… Est-ce pas, maman ? »

« Pourquoi avez-vous pleuré ? » me dit le duc de Morny… Je ne répondis point, malgré le coude pointu et bienveillant de Mlle de Brabender qui me poussait doucement. Le duc de Morny m’en imposait un peu. Il était doux et moqueur ; je savais qu’il occupait à la Cour une haute situation, et que ma famille s’honorait de son amitié. « Parce que je lui ai dit qu’il y